C5. CROISSANCE ET DÉFENSE



CROISSANCE ET DéFENSE
deux mécanismes de survie nécessaires et incompatibles

L’évolution nous a dotés de nombreux mécanismes de survie, lesquels se divisent grosso modo en deux groupes : la croissance et la défense. La croissance est à l’œuvre toute la vie : chaque jours des milliards de cellules de notre corps s’usent et sont remplacées, dans un roulement continu qui demande beaucoup d’énergie.
La gravitation autour d’un signal favorable à la vie, telle la nourriture, caractérise une réaction de croissance ; la fuite devant un signal menaçant, telles les toxines, caractérise une réaction de défense. Ces mouvements opposés sont les deux réactions élémentaires d’une cellule aux stimuli de son environnement.
Ces deux mécanismes de survie opposés ne peuvent fonctionner simultanément de manière optimale. A l’instar des cellules, les humains restreignent leurs comportements de croissance lorsqu’ils passent en mode défense : même si l’on a faim, on ne pense pas à manger quand on tente d’échapper à un lion !
En plus de canaliser l’énergie nécessaire aux tissus et aux organes en vue d’une réaction de défense, un autre facteur freine la croissance. Ce processus nécessite une communication ouverte entre un organisme et son environnement : c’est le cas, par exemple, pour l’absorption de nourriture et l’élimination des déchets. En revanche, la défense nécessite la fermeture du système pour isoler l’organisme du danger.
Enfin, s’il consomme de l’énergie, le processus de croissance est aussi nécessaire pour en produire. Par conséquent, une réaction de défense soutenue freine la production d’énergie vitale et peut même la bloquer complètement, voire mortellement.

La biologie de la défense intérieure
Chez les organismes multicellulaires, les comportements de croissance et de défense sont contrôlés par le système nerveux, lequel surveille les signaux environnementaux, les interprète et détermine une réaction appropriée.
Le corps est doté de deux systèmes de défense distincts, essentiels au maintien de la vie.
1. L’axe HPA[1] (hypotalamo-hypophyso-surrénalien) organise la défense contre les dangers externes. En cas de stress, les hormones surrénales de défense ou de fuite concentrent le sang dans les viscères et le poussent dans les tissus des bras et des jambes. Cette redistribution donne la force physiologique pour éviter le danger mais, sans apport de sang, les organes vitaux sont incapables de fonctionner correctement : ils cessent leurs activités de digestion, métabolisation, excrétion et autres fonctions essentielles comme la production de réserves d’énergie.
2. Le système immunitaire nous protège des dangers internes et gère le travail des microbes.
Lorsqu’il est mobilisé, le système immunitaire consomme une grande partie des réserves énergétiques du corps : chacun sait comme on se sent faible quand on combat une infection[2].
Pourquoi le système HPA de défense externe est prioritaire ?
Si vous êtes sous la tente, dans la savane africaine, en train de combattre une infection bactérienne avec diarrhée et que vous entendez un lion rugir à l’extérieur, il y a des chances pour que votre cerveau décide de mobiliser votre énergie à vous défendre du lion et cesse provisoirement de lutter contre l’infection.
Quand l’axe HPA mobilise le corps pour se défendre, les hormones surrénales empêchent directement le système immunitaire de conserver ses réserves d’énergie. Elles sont d’ailleurs si efficaces qu’on les administre aux patients greffés pour que leur système immunitaire ne rejette pas les tissus étrangers !
L’activation de l’axe HPA interfère avec notre aptitude à combattre la maladie, mais entrave aussi notre capacité à réfléchir rationnellement. En situation d’urgence, le flux vasculaire et les hormones servent à activer le cerveau postérieur, siège des réflexes vitaux qui contrôlent les comportements de défense. S’il est nécessaire que les signaux de stress répriment l’activité du cortex cérébral préfrontal, parfois trop lente pour notre survie, c’est au prix d’une conscience et d’une intelligence réduites.

La peur tue : du mauvais usage du stress
La peur abêtit : on l’observe chez les étudiants paralysés par les examens, incapables d’accéder à l’information pourtant apprise et mémorisée. Si le système de l’axe HPA est performant en cas de danger ou stress grave, il n’est pas conçu pour fonctionner continuellement.
Pour illustrer les effets négatifs de la production soutenue d’adrénaline, imaginons une course sur piste. Les sprinters sont sur la ligne de départ. Quand l’arbitre crie « Prêts ! », leur musculature se tend et leur corps secrète les hormones d’adrénaline de défense qui stimulent les muscles pour affronter la situation. Pendant que les athlètes attendent l’ordre « Partez ! », leur corps fournit un gros effort de tension anticipatrice. Dans une course normale, cet effort ne dure qu’une seconde ou deux avant la propulsion dans l’action. Si l’ordre de départ devait tarder, les meilleurs coureurs s’écrouleraient d’épuisement dans les starting blocks en quelques secondes. Aujourd’hui, nombre d’entre nous vivent en mode « Prêt » et cet état de vigilance exagérée et constante affecte sérieusement notre santé.


[1] HPA : Hypothalamus Pituitary Adrenal
[2] NdCC : Voir la partie Médecine Nouvelle pour interpréter correctement la notion de « lutte contre » les microbes.